Les engins à chenilles, étanches, dont disposent les sauveteurs britanniques (la Royal national lifeboat institution, ou RNLI) coûtent une fortune. Donateurs – indispensables soutiens des sauveteurs –, ayez une pensée particulière pour ces stations si vous tombez sur un tracteur pas trop gros, pas trop compliqué, pas trop cher, qui cherche une retraite utile à la collectivité.
Les sauveteurs de Jullouville retournent leur bateau à la force des bras pour repartir plus vite à la prochaine intervention
© SNSM
La galère des remorques
Les tracteurs ne sont pas les seuls à poser problème. Les remorques aussi amènent leur lot de souffrances. De nombreuses stations sans port utilisent un équipement dit de « type RNLI », qui s’enfonce loin dans les vagues. Grâce à sa forme en U, il peut lancer une embarcation proue en avant vers le large, hélice dans l’eau. L’équipage, déjà à bord, n’a qu’à tirer la manette des gaz pour prendre la mer et gagner de précieuses minutes. La partie de plaisir commence au retour des sauveteurs, lorsqu’il faut replacer le semi-rigide sur la remorque dans le bon sens pour être opérationnels à la prochaine alerte.
À Jullouville, cela se fait en deux temps. D’abord, on récupère le semi-rigide afin de le mettre au sec. Puis l’équipage glisse sous la quille un plateau à roulettes qui sert à retourner le bateau à la force des bras (voir photo ci-dessus) et le positionner correctement sur la remorque. Un véritable exploit quand on sait qu’un SR de 7,50 mètres pèse dans les 2 tonnes à vide. Le nouveau grand SR à timonerie de la nouvelle flotte – le NSC2 –, dont le premier exemplaire est en test à la station d’Agon-Coutainville, pèse pour sa part 5 tonnes…
Difficultés avec les tracteurs, galères de remorques… On comprend qu’après avoir regardé d’un œil parfois sceptique des solutions alternatives qui pouvaient avoir l’air de « gadgets », la SNSM s’y intéresse de plus près depuis quelque temps.
L’aéroglisseur, une réponse possible
Pour un certain nombre de Sauveteurs en Mer, la récupération des « isolés par la marée » est la routine des grands week-ends, vacances et jours de grande marée. Des imprudents qui, malgré tous les avertissements, partent à pied trop loin, trop longtemps à marée basse et oublient que ce qui était le fond de la mer un peu plus tôt va le redevenir sans tarder.
Cela arrive souvent dans la baie de Somme et celle du Mont Saint-Michel. Mais aussi à Berck-sur-Mer, dont les longs bancs de sable sont réputés. Comment atteindre assez rapidement les personnes que le retour de l’eau met en danger dans un paysage où alternent parties immergées et émergées ? À pied ? En pneumatique ? En scooter des mers ?
Depuis le mois de novembre, la SNSM teste un aéroglisseur à Berck-sur-Mer. Avantages ? L’engin se déplace sur un coussin d’air, indifféremment sur l’eau, le sable ou le bitume, voire sur des zones intermédiaires de vase, par exemple. Cette solution plaît bien à Emmanuel Pichard, le président de la station de Genêts, dans la baie du Mont Saint-Michel. Ainsi, il la préfère à une embarcation amphibie sur roues, que la vase aurait du mal à porter. De plus, un aéroglisseur peut se déplacer presque aussi vite qu’un semi-rigide, entre 15 et 20 nœuds. Enfin, il descend et remonte facilement sur sa remorque – un plan incliné – en utilisant son coussin d’air.
Le modèle testé à Berck-sur-Mer a les dimensions et l’allure d’un gros Jet-Ski®, avec sa selle pour trois personnes au milieu et son guidon pour le conducteur. Romain Pappalardo, soutien technique local, qui participe à l’expérience au nom de la direction technique, explique le fonctionnement : « Il y a deux moteurs simples [NDLR : genre moteurs de tondeuses quatre temps], un pour la sustentation et un pour la propulsion. L’engin a une coque en polyester et flotte sur l’eau si on arrête la sustentation ou qu’elle est en panne. La propulsion est assurée par une grande hélice aérienne, protégée dans une cage et située derrière les passagers, et la direction par des volets verticaux en carbone à l’arrière de cette hélice. »
Ni quille ni hélice dans l’eau, la machine a donc tendance à dériver en cas de vent latéral. Il faut alors avancer en crabe, comme un bateau dans le courant. Le pilote met le nez dans une direction intermédiaire entre le côté d’où vient le vent et le point où il veut se rendre. Par vent arrière, il faut rester manœuvrant, donc aller plus vite que le vent. L’aéroglisseur atteignant une vitesse entre 15 et 20 nœuds, il n’est pas facilement manœuvrable dans toutes les directions au-delà de 15 nœuds de vent. Pour s’arrêter, on ne peut pas enclencher la marche arrière comme sur un bateau. Elle n’existe pas. Donc on ralentit et on réduit la sustentation pour que le frottement sur le sable ou sur l’eau freine l’engin. Malgré ces limites, Romain, qui faisait partie des sceptiques au départ, est maintenant plutôt convaincu. Reste à voir comment le matériel sélectionné va se comporter dans le temps, si son entretien n’est pas trop pesant (lavage soigné à l’eau douce après chaque sortie pour éliminer le sel et le sable) et s’il supporte bien la mer. Construit en Suède, cet aéroglisseur a été conçu pour le sauvetage. Il est équipé d’un gyrophare et un emplacement pour une civière est prévu d’origine. Mais il est plutôt destiné aux eaux intérieures. « Nous aurons donc quelques exigences de marinisation – étanchéité des circuits électriques, par exemple – si nous donnons suite à l’expérience et en commandons pour d’autres stations après une année d’observation », précise Baptiste Fantin.
Le SR amphibie, un moyen d’avenir
« Maman les p’tits bateaux, qui vont sur l’eau, ont-ils des jambes ? » « Mais non, mon gros bêta, ils ont des roues. » En tenue de mer, tranquillement assis à 1,50 mètre au-dessus du sol, sur le SNS 7–004 Docteur Labbé, nous tournons comme si de rien n’était dans la rue du Port, qui longe le magnifique mouillage de Portsall (Finistère), totalement à sec en ce début d’après-midi. Hors saison, les habitués, à vélo ou en voiture, ne s’étonnent pas de croiser sur la route ce semi-rigide de 7 mètres monté sur roues. Le patron, André Le Gall, tourne son volant comme s’il était sur un tracteur. La direction agit en même temps sur la roue avant et sur le moteur hors-bord à l’arrière, inutile pour le moment. On n’entend qu’un bruit de tondeuse, provenant d’en dessous des sièges. C’est le moteur auxiliaire, qui met sous pression le circuit hydraulique servant à manœuvrer les roues et à les relever le moment venu, comme un train d’atterrissage.
Portsall est parfaitement adapté à cet engin de la marque néo-zélandaise Sealegs, découvert en Afrique du Sud par un des équipiers de la station : sable ferme pas trop en pente, quelques petits rochers bien repérés et laissant la place de passer. Bruno Chantry, le troisième de l’équipage, montre sur la droite l’amas de rochers dans lequel les sauveteurs devaient auparavant se frayer un chemin à marée basse, parfois de nuit, pour retrouver l’annexe pneumatique permettant de rejoindre le canot de sauvetage au mouillage. Avec l’amphibie, ils gagnent énormément en sécurité et en confort, mais surtout en délai d’appareillage, ce qui est essentiel pour le sauvetage.
À Portsall (Finistère), les sauveteurs utilisent depuis peu un semi-rigide amphibie capable de rouler sur l’estran
© SNSM
Le SR entre peu à peu dans l’eau. Au moment critique, celui où les roues vont décoller du fond, on sent les cahots des vaguelettes de sable, mais pas encore la houle, qui ferait cogner les roues sur le fond, alors que, dehors, ça souffle sérieux en ce 11 janvier. Pour que la machine reste manœuvrante, il faut que le pilote baisse et démarre le moteur hors-bord suffisamment tôt sans pour autant racler trop sur le fond.
Le relevage des roues est tellement rapide et silencieux que l’on en prend à peine conscience. Une devant, deux derrière, rien sur les côtés, rien qui traîne dans l’eau. Maintenant, nous sommes sur un vrai semi-rigide.
Nous dépassons tranquillement la bouée de mouillage qu’utilise le grand canot tous temps SNS 083 La Portsallaise quand la météo est moins menaçante (aujourd’hui, il est abrité à Saint-Pabu, sur l’Aber Benoît, proche). À mesure que nous avançons vers la passe et le large, les cahots deviennent des chocs, qu’il vaut mieux encaisser debout, accroché à une main courante, comme sur n’importe quel SR franchissant la houle à bonne vitesse. Le poids de la roue à l’avant n’empêche pas le nez de soulager pour traverser les vagues. On sent juste l’embarcation un peu plus lourde, bien assise dans l’eau, sécurisante quand elle vire ou prend la mer de travers. Un Sealegs de cette dimension est un vrai moyen de sauvetage autonome. C’est d’ailleurs le rôle que vont jouer les deux prochains, déjà commandés pour deux autres stations du Finistère sud : Argenton - Porspoder - Lanildut (pour le site d’Argenton) et Plouescat.
Après une courte séance de grand huit dans la houle des passes, nous rentrons à près de 20 nœuds sans que le SR, bien calé sur sa coque aluminium et ses boudins gonflés, ne nous rappelle, à aucun moment, ses particularités d’amphibie. À l’approche du sable, il redescend discrètement ses solides jambes en aluminium dès que le sondeur indique 2,50 m sous la coque. Vers 70 cm, on sent les roues toucher.
L’engin revient tranquillement au garage et le patron nous montre comment, sur un banc de sable ou un parking, il peut écarter ses roues pour descendre et, par exemple, faciliter l’embarquement d’une civière ou d’un blessé. Certes, c’est un investissement : 130 000 € pour celui-ci, 164 000 € pour celui de Porspoder. « Mais c’est un tracteur et une remorque de moins », se réjouit déjà le président, Gilles Rolland, qui, pour le moment, a deux tracteurs et deux remorques à Argenton et Lanildut.
Comme souvent quand une organisation évolue, elle connaît une période de tâtonnements liée à ces innovations. La station des Frégates, au nord de la baie du Mont Saint-Michel, s’est lancée la première avec un système amphibie sur une coque aluminium plus courte, sans boudins pneumatiques, qui est un peu moins convaincant. La direction de la SNSM a été prudente quand la question a été reposée par Portsall. Mais l’amphibie est maintenant une solution prise très au sérieux, si les conditions locales l’autorisent. Ainsi, aux Frégates, atterrir à marée haute sur la cale travers au vent ou au courant quand la roue avant touche mais pas encore les roues arrière n’est pas évident, témoignent à l’unisson le président Hervé Dano et le patron David Lemenuel.
Faut-il mettre la vedette au sec ?
La problématique du canot de sauvetage sans quai ne se limite pas aux embarcations relativement légères, semi-rigides ou vedettes légères en aluminium, que l’on peut manipuler avec un tracteur et une remorque. Faute de port, certaines stations mettent d’imposantes vedettes au sec dans des abris grâce à un chariot sur rails. C’est, entre autres, le cas sur l’île d’Ouessant (Finistère) ou à Goury (Cotentin). D’autres ont fait le choix de s’en passer : les abris construits du temps des superbes canots composés de plusieurs couches de lattes de « bois moulé » – très solides, mais n’aimant pas trop rester à l’eau – ne servent plus à leur usage premier. Ils ont souvent été transformés en local à terre pour les sauveteurs, voire en salle d’exposition des anciens canots pour les visiteurs (Portsall l’été, Barfleur, Étel, où l’ancien canot est remonté par d’antiques bossoirs comme ceux qui permettaient de mettre à l’eau les canots de sauvetage sur les paquebots).
Là où ils sont encore utilisés, leur entretien et leur adaptation aux nouvelles générations de navires de sauvetage sont très coûteux. Cas extrême, Trévignon - Concarneau, en face de l’archipel des Glénan, où il faut tout démolir et reconstruire tellement l’abri s’est dégradé. Premières estimations : 2,8 à 3,5 millions d’euros hors taxes.
Alors, utiles ou pas, ces abris ? « Impossible de généraliser », répond Olivier Stosskopf, nouveau directeur technique adjoint de l’association, qui reprend ces dossiers. Tout dépend de la situation locale. Pour vous expliquer, deux illustrations concrètes valent mieux que de longs discours.
Barfleur opte pour le mouillage
Comme Portsall, Barfleur, à l’extrémité du Cotentin, est une anse naturelle protégée par une digue, dans une région à fortes marées. L’actuel canot tous temps, au mouillage à l’intérieur, était indisponible la moitié du temps et sa quille souffrait des échouages quotidiens. La station devrait accueillir, en 2027 – si tout va bien –, un navire de sauvetage hauturier de la nouvelle flotte SNSM. On a commencé par envisager la restauration et l’agrandissement de la cale et de l’abri où trône l’ancien canot en bois moulé, le Crestey et Sauvé, qui a assuré plus de quatre cents interventions entre 1955 et 1997. Très coûteux, bien sûr.
Puis, finalement, la station a décidé de s’adapter différemment. Une rampe en béton a été prolongée de 20 mètres afin qu’un quad puisse mettre à l’eau un pneumatique de 5,50 mètres, grâce auquel les bénévoles rejoignent le canot, qui a désormais un mouillage à l’extérieur, derrière un îlet. « Il est abrité des tempêtes d’ouest et de sud-ouest, il faut juste le rentrer si le mauvais temps vient du nord ou du nord-est, ce qui est plus rare », explique le président de la station, Philippe Lukowski.
Au moment où vous lisez ce magazine, l’équipage devrait bénéficier aussi d’un nouveau local qui lui offrira la possibilité de s’équiper pour la mer avant de monter dans l’annexe. Incidence non négligeable de cette solution, l’ancien local est confirmé dans sa vocation patrimoniale. L’ancien canot attire de nombreux visiteurs, qui deviennent souvent de généreux donateurs.
L’indispensable cale de Ploumanac’h
Situation complètement différente à la pointe nord de la Bretagne nord, en face de l’archipel des Sept îles, dans une zone mal pavée, pleine d’embûches pour la navigation. « Le SNS 098 Président Toutain, canot temps de Ploumanac’h, est stratégique », souligne Benoît Duchenet, président de la station. À l’ouest, il faut aller jusqu’à l’île de Batz pour trouver un autre canot tous temps, à l’est jusqu’à Loguivy-de-la-Mer, en face de Bréhat. »
Or, pour être pleinement opérationnel, le canot a absolument besoin de sa cale de mise à l’eau, de son chariot et de son abri. La situation difficile qu’a connue la station pendant des mois en est la preuve. Après de multiples déraillements du chariot sur la cale, qui a plus d’un siècle, il a fallu se replier sur le port de Ploumanac’h, où le canot tous temps est au mouillage ; il est donc nécessaire de le rejoindre en annexe après s’être équipé dans le local de la station. Et le navire de sauvetage, comme les autres, ne peut quitter le port que lorsqu’il y a suffisamment d’eau au-dessus du seuil construit pour retenir de l’eau dans le port à marée basse.
En temps normal, le canot est disponible 95 % du temps. « Les marins qui ont voulu et obtenu l’abri et la cale donnant directement sur la mer en 1912 ont su les positionner idéalement, ce qui la rend praticable presque par tous les temps », explique Benoît Duchenet. Quand le bateau est mouillé dans le port, en revanche, la possibilité de faire appel aux sauveteurs de Ploumanac’h tombe à 60 % du temps et le délai d’appareillage passe de vingt minutes à trois-quarts d’heure.
Pour remédier à cette situation, tout le monde s’est impliqué : l’État, les instances nationales de la SNSM, la ville de Ploumanac’h, chacun a fait ce qu’il pouvait pour financer de gros travaux de remise en état (évalués à 600 000 € hors taxes), qui devraient être terminés au printemps. « Il s’agit quand même de descendre et remonter un bateau de 20 tonnes sur un chariot de 10 tonnes avec une pente à 11% », précise Benoît Duchenet. Rails réinstallés sur des traverses en béton, nouveau treuil, chariot consolidé et lesté… L’abri de Ploumanac’h devrait être bientôt à nouveau 100 % opérationnel.
À Ploumanac’h (Côtes-d’Armor), le canot tous temps est mis à l’eau grâce à une cale, récemment prolongée pour être utilisée quel que soit le niveau de la mer
© SNSM
Les membres de la SNSM ne reculent devant aucun effort pour répondre aux alertes 365 jours par an, 24 heures sur 24, sur toutes les côtes. Mais, comme l’illustre parfaitement le quotidien des bénévoles des stations sans port, ils ont besoin de structures et de matériel adaptés pour mener leur mission à bien. En plus de l’investissement personnel des Sauveteurs en Mer, l’association compte plus que jamais sur la générosité financière des donateurs, des collectivités locales et de l’État.
Article rédigé par Jean-Claude Hazera, diffusé dans le magazine Sauvetage n°163 (1er trimestre 2023)